C’est dans la seconde moitié du XIXème siècle que la commune de Croze entreprend la construction d’un bâtiment public : une mairie flanquée de deux salles de classe, l’une destinée aux garçons l’autre aux filles. Si aujourd’hui le grand bâtiment domine toujours l’ancienne route reliant Felletin à Ussel il semble quelque peu endormi. En effet la population de la commune ayant diminué de plus de ses trois quarts en un siècle, la mairie n’est plus ouverte que deux jours 1/2 par semaine et, depuis le début des années 1970, l’école ne résonne plus des cris des enfants…
Suivons maintenant quelques moments de l’évolution de cette école de Croze au cours des siècles passés.
Avant la Révolution, la cure de la paroisse de Croze étant rattachée au collège de Felletin, ce sont les différents curés du lieu ou la personne désignée par eux qui instruisent les enfants : on apprend à lire, à écrire et à compter mais l’on constate en consultant les registres paroissiaux que, jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, peu de personnes savent signer. En 1793, la République est proclamée, la Convention nationale vote un décret qui stipule qu’il y aura dans toutes les communes de la République un instituteur et une institutrice. Très rapidement, le 30 Vendémiaire de l’an 2 (21 octobre 1793), l’assemblée générale de la commune de Croze nomme la citoyenne Anne Lebaron pour être institutrice. Elle prête le serment exigé par la loy et déclare : je jure d’être fidèle à la nation et à la loy et de remplir avec zèle les fonctions auquelles vous me faite l’honneur de me confier et de m’honorer.
Cette délibération du conseil municipal (l’orthographe du texte original a été respectée) est signée par Jean-Baptiste Guillon, maire.
Nous sommes maintenant en l’an 9 de la République. Les 18 et 19 nivose (8 et 9 janvier 1801) de cette année-là un arrêté est pris. Le sous-préfet de la Creuse envoie une circulaire dans chaque mairie de son département, circulaire demandant aux élus locaux l’établissement d’un secrétaire-maître d’école dans chacune des communes où une pareille institution sera jugée nécessaire et pourra avoir lieu.
Le 15 Pluviose suivant (4 février 1801) une réunion du conseil municipal de Croze met en discussion cet arrêté mais aucun des membres n’est prêt pour mettre en oeuvre ce projet car considérant que s’il est essentiel de faire instruire les jeunes citoyens, il ne l’est pas moins que de ne charger de cette instruction que des personnes capables pour leur moralité et leur habitude d’enseigner, de donner de bons principes et des leçons utiles…
Pourra-t-on trouver l’instituteur idéal ? Il semble bien que non car considérant qu’il n’existe dans la commune aucun citoyen parmi ceux qui pourraient se livrer à l’éducation assez instruit pour instruire les autres… On serait donc obligé de choisir un maître d’école d’une ville ce qui deviendrait très dispendieux… De plus considérant qu’un seul maître d’école ne pourrait suffire pour enseigner et surtout pour bien enseigner tous les enfants de la commune… La conclusion implicite est qu’il n’est pas possible de nommer ce maître d’école ! On se souvient que cet enseignant prévu par l’arrêté devait être aussi secrétaire de mairie. Là aussi les membres du conseil municipal font bloc considérant que le maire convient de n’avoir point besoin de secrétaire et que la bonne tenue des registres de l’état-civil atteste que ces registres ne sauraient être mieux confiés qu’entre ses mains. Après toutes ces considérations les membres, à l’unanimité, déclarent que l’établissement d’un secrétaire maître d’école, sous le double rapport de se procurer un citoyen capable d’enseigner fructueusement et de pourvoir à son salaire et à son logement devient inutile et serait très onéreux pour la commune de Croze et qu’il ne peut et ne doit, d’après les considérations de l’intérêt commun, s’occuper quant à présent de la nomination qui lui est confiée.
On aurait pu croire que l’affaire en serait restée là… Ce n’était sans compter sur le sous préfet qui relancera les communes récalcitrantes telle celle de Croze.
Le 20 Thermidor an 10 (8 août 1802), une nouvelle réunion du Conseil municipal a lieu, réunion au cours de laquelle ses membres délibèrent sur la nécessité d’établir dans la commune de Croze une école primaire et sur les moyens de rendre stable cet établissement utile en indiquant les ressources et les moyens propres à la former et soutenir et en désignant un sujet capable de la diriger par sa moralité, sa connaissance et ses lumières. Le maire présente la candidature de cet enseignant idéal : celle d’Etienne Trébillon de Felletin, ancien militaire recommandable par ses services, ses moeurs douces et honnêtes et par sa connaissance dans la lecture, l’écriture et le calcul car, comme il est ajouté dans la délibération de la réunion, la génération présente est comptable envers la génération future du retard qu’elle aura mis à lui fournir les moyens d’instruction […] il est d’une nécessité indispensable d’établir pour et dans la commune de Croze une école primaire à l’effet de faciliter les jeunes gens de cette commune dans l’instruction dont ils sont avides… En ces années lointaines ce sont les autorités préfectorales qui nomment les enseignants et ce sont les communes qui les rémunèrent ce qui met bien souvent en difficultés financières les petites communes rurales. A l’unanimité le conseil municipal de Croze trouve la parade à ce problème. On peut lire en effet dans cette même délibération que les fonctions de garde-champêtre deviennent nulles dans la commune de Croze par l’inactivité de celui qui les exerce […] dès lors la somme de cent francs annuellement attribuée au dit garde-champêtre peut être plus utilement et plus avantageusement employée en faveur d’un instituteur…
Croze est donc dotée maintenant d’un enseignant et durant les années qui suivront une école fonctionnera, école où se côtoieront dans une même classe garçons et filles, les premiers étant plus nombreux que les secondes. Cette volonté de vouloir instruire la jeunesse de Croze, volonté qui se retrouve dans les communes voisines, portera ses fruits. En effet des statistiques établies sur toute la Creuse à partir de différentes sources (conscrits, signataires d’actes d’état civil etc.), statistiques couvrant les trois quarts du XIXème siècle, montrent que ce sont les habitants du canton de Felletin et des cantons limitrophes qui ont le meilleur niveau d’instruction.
Il faut savoir que le département de la Creuse fut toujours en avance pour dispenser l’instruction à ses enfants mais aussi à ses adultes réunis dans des cours du soir. Ce sont les migrants, ces «citadins» temporaires, qui apportèrent dans leurs villages les idées nouvelles :
« pour progresser dans la vie et améliorer son sort, il était impératif d’avoir un certain niveau d’instruction. »
Au cours du XIXe siècle, période durant laquelle a débuté un enseignement qui deviendra par la suite obligatoire et gratuit, les enseignants n’étaient pas fonctionnaires d’Etat. Issus d’horizons différents, ils enseignaient aussi dans des écoles différentes. Certains avaient été formés dans les Ecoles Normales (celle de Guéret pour la Creuse) et étaient nommés, sur leur demande ou d’office, dans une école pour exercer leurs fonctions d’instituteurs communaux par le préfet sur proposition de l’inspecteur d’Académie. Rémunérés partie par la commune et partie par les parents d’élèves, ces enseignants étaient pauvres surtout si leur nombre d’élèves était restreint. Il fallait souvent batailler dur pour se faire une « clientèle» d’élèves car il y avait la concurrence des écoles privées. Ces dernières, ne pouvant fonctionner qu’avec l’autorisation des autorités républicaines, avaient à leur tête soit un instituteur issu des maîtres d’école laïcs ou confessionnels de l’ancien régime et qui avait les diplômes requis, soit un ex-instituteur communal démissionnaire ou même radié des cadres par sanction de ses supérieurs … Une troisième sorte d’école pouvait exister : la clandestine ouverte sans autorisation et pour laquelle le dirigeant était passible d’une amende et d’une condamnation.
Signalons que bon nombre d’instituteurs communaux exerçaient les fonctions de secrétaires de mairie et qu’ils pouvaient être les seuls à savoir lire et écrire au sein de l’équipe communale. Avantage qui pouvait se retourner contre celui qui en abusait.
Voici les noms de quelques instituteurs communaux qui exercèrent à Croze entre 1847 et 1890. Certains de ces noms de famille existent encore à Croze ou alentours :
- Le sieur Nétanges père, instituteur à Croze de 1845 à 1855
- Le sieur Lavaud, instituteur à Croze de 1856 à 1858
- Le sieur Jaffier, instituteur à Croze de 1858 à 1861
- Le sieur Monot, nommé à Croze en 1861
- Le sieur Elion, instituteur à Croze de 1865 à 1866
- Le sieur Nétanges fils, instituteur à Croze de 1866 à 1872
- Le sieur Sementéry, instituteur à Croze quelques mois en 1872
- Le sieur Lioret, instituteur à Croze de 1872 à 1890.
De nombreux documents à leur sujet sont consultables en mairie.
Chaque matin et par tous les temps des groupes d’enfants, petits et grands venant de tous les hameaux, ont convergé vers l’école. On les voyait passer sur les chemins, portant d’un côté leur sac d’écolier et de l’autre le petit panier d’osier contenant leur repas du midi. Le soir ils rentraient chez eux, aidaient aux travaux de la ferme puis faisaient leurs devoirs installés au bout de la table familiale.
« Pour réussir dans la vie il faut au moins savoir lire, écrire et compter … » disait-on alors.
Bon nombre d’enfants quittaient l’école entre 10 et 14 ans et, faute de ne pas l’avoir fréquentée régulièrement, entraient dans la vie avec des connaissances à peine rudimentaires.
Pour remédier à cet état de fait en 1836, le Conseil royal de l’Instruction publique arrête l’établissement des classes d’adultes qui devront désormais accueillir les garçons de plus de 15 ans et les filles de plus de 12 ans. Le recteur de l’académie de Limoges écrit au préfet de la Creuse :
A mesure que les lumières se propagent et que l’industrie et le travail se déploient avec une grande énergie, le besoin de multiplier les classes d’adultes se fait sentir de plus en plus. Il importe en effet de faciliter aux jeunes gens et même aux hommes d’un âge plus avancé les moyens de réparer le déffaut (l’orthographe originale a été respectée) absolu de toute instruction primaire, de perfectionner des notions trop imparfaites et d’acquérir des connaissances spéciales nécessaires pour l’exercice de leurs professions… Plus loin il continue en assurant que l’enseignement […] s’étendra depuis la lecture jusqu’aux développements professionnels réclamés par les besoins des diverses localités. Le recteur termine en disant que sous aucun prétexte, les élèves adultes hommes et femmes ne soient jamais réunis dans le même local… Le préfet, répondant à cette lettre, insiste sur la non nécessité des classes d’adultes en Creuse. Il estime que ces classes ne seraient que très peu fréquentées étant donné que tous les hommes valides et enfans (l’orthographe originale a été respectée) même, lorsqu’ils ont atteint l’âge de 13 ou 14 ans, émigrent dès les premiers jours de mars […] et ne rentrent que dans les premiers jours de décembre…
Peu de classes d’adultes furent donc créées en Creuse au cours des années qui suivirent. Sur documents d’archives nous avons pu suivre l’évolution de ces classes d’adultes à Croze depuis leur ouverture en 1861 et ceci jusqu’en 1874. Nous avons noté que ce sont toujours les différents instituteurs communaux qui les dirigèrent et qu’elles ne comptaient que peu d’élèves (8 en en 1869-1870,4 en 1872, 6 en 1873, 18 en 1873-1874). Pour assurer leur fonctionnement, de 6 à 12 heures par semaine durant 2 à 3 mois, l’hiver, le maître touchait une indemnité personnelle complétée par une indemnité d’éclairage. On a pu aussi remarquer que de 1869 à 1872 les cours du soir cessèrent d’être dispensés à Croze : François Nétanges, l’instituteur communal, qui devait décéder en 1872 était-il alors trop fatigué pour en assurer la tenue ? Y-a-t-il une autre raison ? Il est bien sûr impossible de répondre à ces questions.
Grâce à ces cours du soir il est à espérer que chaque année quelques adultes de Croze aient pu compléter les connaissances acquises lors de leur scolarité.
Ce document est le fruit des recherches de Madame Josette PARFAIT. Elle a eu la gentillesse de déposer en mairie un volumineux dossier dont nous vous proposons ici quelques extraits. Pour les personnes qui s’intéressent à l’histoire et aux petites histoires de la commune, le dossier complet est consultable en mairie aux heures habituelles d’ouverture. Que Madame PARFAIT soit ici chaleureusement remerciée pour son remarquable travail.